Monozukuri – L'éthique du travail au Japon

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Auteur : Christoph Roser - AllAboutLean
Source : Monozukuri – Japanese Work Ethics
Date : 12/12/2017


Traducteur : Fabrice Aimetti
Date : 08/10/2025


Traduction :

Charpentier Japonais

Vous avez peut-être déjà entendu parler du mot japonais monozukuri (parfois écrit 物作り, mais le plus souvent ものづくり). Littéralement, cela signifie "fabriquer (zukuri) des choses (mono)". Cependant, cette traduction ne rend pas justice à toute la richesse de ce concept. Une meilleure traduction serait "fabrication, artisanat ou fabrication à la main" (manufacturing, craftmanship). Cependant, cette traduction ne rend pas non plus justice au poids et à l'influence de cette idée au Japon. Laissez-moi vous faire découvrir la culture japonaise du monozukuri.

L'esprit du monozukuri

Bol de thé japonais

Le monozukuri est bien plus que la simple création de produits. Si le monozukuri se résumait à la création, alors la musique ne serait rien d'autre qu'une succession de sons agréables, et une image ne serait qu'un ensemble de jolies couleurs.


Lorsque les Japonais parlent de monozukuri, ils font référence à bien plus que la simple fabrication. S'ils voulaient parler uniquement de fabrication, ils utiliseraient les termes Seizo (製造) ou Seizan (生産) pour désigner la fabrication (manufacturing) et la production.

Non, le monozukuri est plus qu'un simple artisanat ; c'est un état d'esprit, une philosophie. C'est l'éthique de travail japonaise et la recherche de la perfection. Je m'excuse pour tous ces mots flous, mais il est vraiment difficile d'expliquer ce concept sans paraître pompeux. Plus tard, je vous donnerai des exemples de la façon dont ce monozukuri s'est imposé dans la société japonaise quotidienne.

Le mot lui-même est assez ancien et considéré comme un mot japonais originel (c'est-à-dire non d'origine chinoise ou occidentale). Historiquement, il était utilisé en référence à un artisan ou un ouvrier qui était fier de ses produits.

(L'une des nombreuses) expositions monozukuri au Suzuki Plaza, Hamamatsu

Au fil du temps, cependant, il a également commencé à être utilisé dans la production industrielle. Au Japon, le travail en usine était souvent mal vu et considéré comme un travail 3K, c'est-à-dire kiken (危険, dangereux), kitsui (きつい, difficile) et kitanai (汚い, sale). L'utilisation du terme monozukuri a amélioré l'image, le statut et la valeur intrinsèque de la production industrielle. Suzuki, par exemple, l'a probablement utilisé à partir de 1970 au moins pour décrire sa production.


Le mot a connu un nouvel essor en 1999, lorsque le gouvernement japonais a créé une loi pour la Promotion du Monozukuri : la loi fondamentale sur la promotion des technologies de base (ものづくり基盤技術振興基本法). Cela a considérablement amélioré l'image du travail en usine et a permis d'intégrer la valeur historique de l'artisanat et des artisans dans les technologies de fabrication modernes.

Je vais vous donner ci-dessous quelques exemples de cet esprit de fabrication, tant dans le style artisanal traditionnel que dans l'industrie manufacturière moderne.

Trésors nationaux vivants

Shoji Hamada, (désormais) Trésor national vivant dans le domaine de la poterie

Vous connaissez probablement des artistes célèbres tels que Shakespeare, Michel-Ange, Picasso, Kahlo et bien d'autres encore. Mais connaissez-vous un potier célèbre ? Non ? Et un forgeron célèbre ? Un charpentier ? Un tisserand ? Je serais surpris que ce soit le cas. En tout cas, moi, je n'en connaissais aucun.


Le Japon compte également de nombreux artistes japonais célèbres. Beaucoup d'entre eux sont officiellement reconnus comme trésors nationaux vivants (人間国宝 Ningen Kokuhō) du Japon. Il s'agit notamment d'artistes du spectacle tels que des musiciens, des danseurs et des acteurs dans les arts traditionnels japonais.

Shimura Fukumi, vivant trésor national dans le domaine de la teinture et du tissage

Ces trésors nationaux vivants ont toutefois une deuxième catégorie dans l'artisanat. Le Japon reconnaît ainsi les artistes et artisans talentueux dans les domaines de la poterie, du textile, de la teinture, de la laque, de la métallurgie, de la fabrication d'épées, de la fabrication de poupées, du travail du bois et de la fabrication de papier. Le Japon accorde à ces artisans une valeur similaire à celle des artistes traditionnels.


Même si ces noms ne sont pas connus du grand public, ils sont reconnus et respectés pour leur savoir-faire. Si le monozukuri valorise l'artisanat, il valorise également l'artisan. Cela ne s'applique pas seulement aux trésors nationaux vivants (ou décédés) célèbres ; la valeur du travail manuel s'étend à tous les artisans.

Mise à jour : Michel Baudin a souligné la similitude avec le titre de Meilleur Ouvrier de France.

La valeur du travail

Les Japonais expriment également leur attachement au travail de manière subtile dans leurs salutations. À la fin de la journée de travail, lorsque les employés quittent l'usine, le bureau ou leur lieu de travail, ils ont pour habitude de saluer leurs collègues en leur disant "gokurosama" (ご苦労さま), ce qui signifie "merci pour vos efforts".

Cependant, si l'on examine de plus près la nature des Japonais, cette salutation implique plus que de simples efforts, elle est directement liée au travail physique et pénible. Le premier kanji 苦 signifie douleur, problème, difficulté, épreuve ; et le second kanji 労 signifie travail, labeur, effort. Dans l'ensemble, ce message courant remercie le collègue qui s'en va pour son travail physique dur et exigeant, même si cette personne n'est qu'un employé de bureau. C'est un autre exemple qui montre à quel point la valeur du travail physique est profondément ancrée dans la société japonaise.

Évaluation des employés Toyota

J'ai eu accès à un formulaire d'évaluation des employés Toyota (plus d'informations dans un prochain article). Les employés Toyota, jusqu'au niveau de directeur d'usine, sont évalués chaque année sur vingt critères. Si le formulaire contient certains aspects standard, il comprend également de nombreux éléments surprenants.

Le tout premier élément de cette liste : compétences en matière de fabrication dans l'atelier. Les employés sont-ils capables de respecter les normes dans les délais impartis ? Encore une fois, cela concerne les évaluations jusqu'au niveau de directeur d'usine ! Deuxième point : l'employé est-il capable de maintenir une bonne qualité des produits au travail ? Encore une fois, cela concerne le directeur d'usine.

Il me semble que Toyota accorde une importance considérable au travail physique dans son évaluation. Cela se reflète également dans l'atelier. Chez Toyota, tout le monde commence par assembler des voitures. Que vous soyez directeur ou concepteur, votre première tâche après votre entrée chez Toyota consiste à produire des voitures dans l'atelier.

Chez Toyota, il existe également des maîtres artisans appelés Takumi (匠, maître artisan ~ master craftsman ou artisan). Il s'agit d'artisans hautement spécialisés qui se concentrent sur une technique de fabrication particulière (par exemple, la peinture, le soudage électronique, la couture ou la qualité des carrosseries automobiles). Ils effectuent la majeure partie de leur travail à la main plutôt qu'à l'aide de robots, afin d'acquérir une compréhension plus approfondie du processus. Ils sont chargés de former d'autres personnes, de résoudre des problèmes et d'aider à programmer des robots et des machines dans le monde entier. Selon certaines sources, Toyota compterait environ cinq cents takumi. Bien que takumi ne soit pas un titre officiel, Toyota investit beaucoup de temps et d'efforts dans la formation de ces takumi.

Les dérivés du monozukuri

Un dérivé du monozukuri est le hitozukuri (人作り, former les personnes) qui vise à développer les personnes. Cela inclut la formation continue, l'apprentissage et le coaching des personnes, non seulement en classe, mais surtout au travail.

Chez Nissan, on trouve également le kotozukuri (事作り, créer des histoires) pour le "storytelling de marque", dans le but d'engager le dialogue avec le client. Cependant, ce concept est peu utilisé en dehors de Nissan.

Observer les Japonais au travail

Chaque fois que je suis au Japon, j'aime observer les Japonais au travail. Dans la plupart des cas, leurs méthodes et leurs normes de travail sont bien meilleures et plus rigoureuses qu'en Occident. Cela semble être non seulement le fruit d'une formation, mais aussi d'une partie intégrante de la culture japonaise. (Il convient toutefois de noter que le travail de bureau n'est pas toujours aussi efficace et que beaucoup de temps est perdu au bureau. Mais avec des journées de travail de douze heures, il est impossible d'être efficace tout le temps. Le Japon a un énorme potentiel pour réduire les heures de travail de bureau tout en devenant plus efficace et en améliorant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui est généralement médiocre.)

Si le monozukuri se concentre sur l'aspect fabrication, il influence également fortement le secteur des services au Japon.

Dans des articles précédents, j'ai donné des exemples de la manière japonaise de pointer et d'appeler et du passage en caisse dans les supermarchés japonais.

Dans l'ensemble, chaque fois que je me rends au Japon, je suis impressionné par l'éthique de travail des Japonais et leur esprit créatif. Bien sûr, comme dans tous les pays, les gens ne sont pas tous identiques, et on trouve certainement aussi des fainéants et des bons à rien au Japon. Pourtant, dans l'ensemble, j'ai le sentiment que les Japonais sont beaucoup plus fiers de leur travail et qu'ils sont beaucoup plus respectés pour cela. Cela vaut non seulement pour les artisans individuels, mais aussi pour les personnes telles que les ouvriers d'usine, qui ne sont qu'un petit rouage dans un grand système. Eux aussi sont beaucoup plus respectés que ce qu'un Occidental considérerait comme approprié compte tenu de leur niveau de salaire.

L'histoire d'un flacon de recharge de shampoing

Permettez-moi de vous donner un autre exemple illustrant à quel point cette culture du monozukuri est profondément ancrée au Japon. Il y a quelque temps, je prenais un vol intérieur au Japon, et l'avion n'était pas équipé d'écrans vidéo individuels (seulement de grands écrans communs). Aux États-Unis, on aurait probablement diffusé un dessin animé mettant en scène un robot prônant la paix tout en réduisant les méchants en bouillie, ou une vidéo des Kardashian en train de faire... quoi que ce soit que les Kardashian font (je n'ai pas encore compris).

Mais sur ce vol intérieur japonais, ils ont diverti les passagers avec un documentaire de vingt minutes sur la manière d'optimiser une recharge de shampoing ! Il ne s'agissait même pas d'un vrai flacon de shampoing, mais seulement d'une recharge. Pourtant, pendant vingt minutes, ils ont décrit en détail les caractéristiques de conception visant à optimiser l'expérience client afin de réduire les déchets et d'améliorer le confort et la sécurité. Ils ont recouvert l'intérieur de l'emballage en aluminium et ont utilisé un pliage origami spécial pour minimiser le gaspillage de shampoing coincé dans le récipient. Ils ont expliqué comment ils ont optimisé l'ouverture en créant un trou plus petit à l'intérieur d'un trou plus grand afin que moins de shampoing reste coincé dans le trou. Pour plus de sécurité, ils ont ajouté un bord extérieur dentelé à la sortie afin que personne ne le confonde accidentellement avec une boisson gélatineuse ( cela existe au Japon). Les concepteurs étaient visiblement fiers de leur travail, et cette vidéo a été diffusée à l'ensemble des trois cents passagers de la classe économique.

Si un responsable des relations presse d'une compagnie aérienne américaine choisissait ce sujet pour son audience, il serait probablement licencié. Ce produit serait même trop marginal pour la série spécialisée "How It's Made" diffusée sur Discovery Channel. Pourtant, au Japon, il est tout à fait acceptable d'entrer dans les détails techniques de la conception d'une simple bouteille de recharge de shampoing ! Je trouve cela incroyable, et c'est un excellent exemple de la culture du monozukuri. (J'ai également acheté la recharge pour la démonter et la voir par moi-même. Cependant, comme je n'avais pas de récipient approprié pour la remplir, j'ai maintenant une bouteille en plastique remplie de shampoing. J'espère que vous appréciez mes efforts 🙂 )

J'espère que cet article vous a intéressé. Maintenant, sortez, soyez fier de ce que vous faites et essayez de bien le faire, appréciez encore plus ce que vos collaborateurs font pour vous et organisez votre propre secteur d'activité !