« Monozukuri – L'éthique du travail au Japon » : différence entre les versions

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==Les dérivés du monozukuri==
==Les dérivés du monozukuri==
Un dérivé du monozukuri est le hitozukuri (人作り, former les personnes) qui vise à développer les personnes. Cela inclut la formation continue, l'apprentissage et le coaching des personnes, non seulement en classe, mais surtout au travail.<br/>
Un dérivé du monozukuri est le '''hitozukuri''' (人作り, former les personnes) qui vise à développer les personnes. Cela inclut la formation continue, l'apprentissage et le coaching des personnes, non seulement en classe, mais surtout au travail.<br/>
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Chez Nissan, on trouve également le kotozukuri (事作り, créer des histoires) pour le "storytelling de marque", dans le but d'engager le dialogue avec le client. Cependant, ce concept est peu utilisé en dehors de Nissan.
Chez Nissan, on trouve également le '''kotozukuri''' (事作り, créer des histoires) pour le "storytelling de marque", dans le but d'engager le dialogue avec le client. Cependant, ce concept est peu utilisé en dehors de Nissan.


==Observer les Japonais au travail==
==Observer les Japonais au travail==
Chaque fois que je suis au Japon, j'aime observer les Japonais au travail. Dans la plupart des cas, leurs méthodes et leurs normes de travail sont bien meilleures et plus rigoureuses qu'en Occident. Cela semble être non seulement le fruit d'une formation, mais aussi d'une partie intégrante de la culture japonaise. (Il convient toutefois de noter que le travail de bureau n'est pas toujours aussi efficace et que beaucoup de temps est perdu au bureau. Mais avec des journées de travail de douze heures, il est impossible d'être efficace tout le temps. Le Japon a un énorme potentiel pour réduire les heures de travail de bureau tout en devenant plus efficace et en améliorant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui est généralement médiocre.)<br/>
[[Fichier:I See You Shinkansen.jpg|thumb|link=|Je te vois, Shinkansen - Pointer et appeler !]]Chaque fois que je suis au Japon, j'aime observer les Japonais au travail. Dans la plupart des cas, leurs méthodes et leurs normes de travail sont bien meilleures et plus rigoureuses qu'en Occident. Cela semble être non seulement le fruit d'une formation, mais aussi d'une partie intégrante de la culture japonaise. (Il convient toutefois de noter que le travail de bureau n'est pas toujours aussi ''efficace'' et que beaucoup de temps est perdu au bureau. Mais avec des journées de travail de douze heures, il est impossible d'être efficace tout le temps. Le Japon a un énorme potentiel pour réduire les heures de travail de bureau tout en devenant plus efficace et en améliorant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui est généralement médiocre.)<br/>
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Si le monozukuri se concentre sur l'aspect fabrication, il influence également fortement le secteur des services au Japon.<br/>
Si le monozukuri se concentre sur l'aspect fabrication, il influence également fortement le secteur des services au Japon.<br/>
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Dans des articles précédents, j'ai donné des exemples de la manière japonaise de pointer et d'appeler et du passage en caisse dans les supermarchés japonais.<br/>
[[Fichier:Japan-Supermarket-Two-People-Checkout-Overview.jpg|thumb|link=|Deux personnes à la caisse d'un supermarché japonais]]Dans des articles précédents, j'ai donné des exemples de [https://www.allaboutlean.com/pointing-and-calling/ la manière japonaise de pointer et d'appeler] et du [https://www.allaboutlean.com/japanese-supermarket-checkout/ passage en caisse dans les supermarchés japonais].<br/>
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Dans l'ensemble, chaque fois que je me rends au Japon, je suis impressionné par l'éthique de travail des Japonais et leur esprit créatif. Bien sûr, comme dans tous les pays, les gens ne sont pas tous identiques, et on trouve certainement aussi des fainéants et des bons à rien au Japon. Pourtant, dans l'ensemble, j'ai le sentiment que les Japonais sont beaucoup plus fiers de leur travail et qu'ils sont beaucoup plus respectés pour cela. Cela vaut non seulement pour les artisans individuels, mais aussi pour les personnes telles que les ouvriers d'usine, qui ne sont qu'un petit rouage dans un grand système. Eux aussi sont beaucoup plus respectés que ce qu'un Occidental considérerait comme approprié compte tenu de leur niveau de salaire.
Dans l'ensemble, chaque fois que je me rends au Japon, je suis impressionné par l'éthique de travail des Japonais et leur esprit créatif. Bien sûr, comme dans tous les pays, les gens ne sont pas tous identiques, et on trouve certainement aussi des fainéants et des bons à rien au Japon. Pourtant, dans l'ensemble, j'ai le sentiment que les Japonais sont beaucoup plus fiers de leur travail et qu'ils sont beaucoup plus respectés pour cela. Cela vaut non seulement pour les artisans individuels, mais aussi pour les personnes telles que les ouvriers d'usine, qui ne sont qu'un petit rouage dans un grand système. Eux aussi sont beaucoup plus respectés que ce qu'un Occidental considérerait comme approprié compte tenu de leur niveau de salaire.


==L'histoire d'un flacon de recharge de shampoing==
==L'histoire d'un flacon de recharge de shampoing==
Permettez-moi de vous donner un autre exemple illustrant à quel point cette culture du monozukuri est profondément ancrée au Japon. Il y a quelque temps, je prenais un vol intérieur au Japon, et l'avion n'était pas équipé d'écrans vidéo individuels (seulement de grands écrans communs). Aux États-Unis, on aurait probablement diffusé un dessin animé mettant en scène un robot prônant la paix tout en réduisant les méchants en bouillie, ou une vidéo des Kardashian en train de faire... quoi que ce soit que les Kardashian font (je n'ai pas encore compris).<br/>
[[Fichier:Shampoo-Refill-Bottle.jpg|thumb|link=]]Permettez-moi de vous donner un autre exemple illustrant à quel point cette culture du monozukuri est profondément ancrée au Japon. Il y a quelque temps, je prenais un vol intérieur au Japon, et l'avion n'était pas équipé d'écrans vidéo individuels (seulement de grands écrans communs). Aux États-Unis, on aurait probablement diffusé un dessin animé mettant en scène un robot prônant la paix tout en réduisant les méchants en bouillie, ou une vidéo des Kardashian en train de faire... quoi que ce soit que les Kardashian font (je n'ai pas encore compris).<br/>
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Mais sur ce vol intérieur japonais, ils ont diverti les passagers avec un documentaire de vingt minutes sur la manière d'optimiser une recharge de shampoing ! Il ne s'agissait même pas d'un vrai flacon de shampoing, mais seulement d'une recharge. Pourtant, pendant vingt minutes, ils ont décrit en détail les caractéristiques de conception visant à optimiser l'expérience client afin de réduire les déchets et d'améliorer le confort et la sécurité. Ils ont recouvert l'intérieur de l'emballage en aluminium et ont utilisé un pliage origami spécial pour minimiser le gaspillage de shampoing coincé dans le récipient. Ils ont expliqué comment ils ont optimisé l'ouverture en créant un trou plus petit à l'intérieur d'un trou plus grand afin que moins de shampoing reste coincé dans le trou. Pour plus de sécurité, ils ont ajouté un bord extérieur dentelé à la sortie afin que personne ne le confonde accidentellement avec une boisson gélatineuse ( cela existe au Japon). Les concepteurs étaient visiblement fiers de leur travail, et cette vidéo a été diffusée à l'ensemble des trois cents passagers de la classe économique.<br/>
Mais sur ce vol intérieur japonais, ils ont diverti les passagers avec un documentaire de vingt minutes sur '''la manière d'optimiser une recharge de shampoing !''' Il ne s'agissait même pas d'un vrai flacon de shampoing, mais seulement d'une recharge. Pourtant, pendant vingt minutes, ils ont décrit en détail les caractéristiques de conception visant à optimiser l'expérience client afin de réduire les déchets et d'améliorer le confort et la sécurité. Ils ont recouvert l'intérieur de l'emballage en aluminium et ont utilisé un pliage origami spécial pour minimiser le gaspillage de shampoing coincé dans le récipient. Ils ont expliqué comment ils ont optimisé l'ouverture en créant un trou plus petit à l'intérieur d'un trou plus grand afin que moins de shampoing reste coincé dans le trou. Pour plus de sécurité, ils ont ajouté un bord extérieur dentelé à la sortie afin que personne ne le confonde accidentellement avec une boisson gélatineuse ( cela existe au Japon). Les concepteurs étaient visiblement fiers de leur travail, et cette vidéo a été diffusée à l'ensemble des trois cents passagers de la classe économique.<br/>
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Si un responsable des relations presse d'une compagnie aérienne américaine choisissait ce sujet pour son audience, il serait probablement licencié. Ce produit serait même trop marginal pour la série spécialisée "How It's Made" diffusée sur Discovery Channel. Pourtant, au Japon, il est tout à fait acceptable d'entrer dans les détails techniques de la conception d'une simple bouteille de recharge de shampoing ! Je trouve cela incroyable, et c'est un excellent exemple de la culture du monozukuri. (J'ai également acheté la recharge pour la démonter et la voir par moi-même. Cependant, comme je n'avais pas de récipient approprié pour la remplir, j'ai maintenant une bouteille en plastique remplie de shampoing. J'espère que vous appréciez mes efforts 🙂 )<br/>
[[Fichier:Shampoo-Refill-Bottle-Opening.jpg|thumb|link=|Remarquez le bord dentelé et l'ouverture légèrement plus petite au bas]]Si un responsable des relations presse d'une compagnie aérienne américaine choisissait ce sujet pour son audience, il serait probablement licencié. Ce produit serait même trop marginal pour la série spécialisée [https://www.sciencechannel.com/show/how-its-made-science "How It's Made"] diffusée sur Discovery Channel. Pourtant, au Japon, il est tout à fait acceptable d'entrer dans les détails techniques de la conception d'une simple bouteille de recharge de shampoing ! Je trouve cela incroyable, et c'est un excellent exemple de la culture du monozukuri. (J'ai également acheté la recharge pour la démonter et la voir par moi-même. Cependant, comme je n'avais pas de récipient approprié pour la remplir, j'ai maintenant une bouteille en plastique remplie de shampoing. J'espère que vous appréciez mes efforts 🙂 )<br/>
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J'espère que cet article vous a intéressé. Maintenant, sortez, soyez fier de ce que vous faites et essayez de bien le faire, appréciez encore plus ce que vos collaborateurs font pour vous et organisez votre propre secteur d'activité !
J'espère que cet article vous a intéressé. Maintenant, '''sortez, soyez fier de ce que vous faites et essayez de bien le faire, appréciez encore plus ce que vos collaborateurs font pour vous et organisez votre propre secteur d'activité !'''
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  Commentaire de Steve Milner, le 12/12/2017 :
Très intéressant. Merci.<br/>
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J'ai découvert tout cela il y a plus de 30 ans, à une époque où la tradition voulait que l'on respecte la fabrication des objets : l'idée (bouddhiste ?) était qu'une "partie de soi" se retrouvait dans le produit, contrairement peut-être à la perspective occidentale/chrétienne selon laquelle le travail était une sorte de punition. Au Japon, on considérait que si vous aviez un certain talent, vous pouviez trouver un emploi dans l'industrie manufacturière... pour créer de la valeur, de la richesse... mais si vous étiez un peu lent, on vous donnait un costume bleu et une calculatrice et vous pouviez trouver un emploi dans une banque pour manipuler de l'argent ou quelque chose comme ça.<br/>
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Mais cela était en train de changer. On rencontrait des gens qui se disaient musiciens ou photographes ou autre... mais qui finissaient par avouer qu'ils travaillaient dans des usines ! Nissan avait du mal à recruter, et plutôt que d'être un moyen utile d'obtenir un emploi prestigieux, le népotisme fonctionnait dans l'autre sens. On pouvait rejoindre l'entreprise pour ne pas décevoir le nom de la famille si d'autres membres de la famille y travaillaient.<br/>
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Un point intéressant était "les Olympiades des Talents", et que j'ai trouvé être une excellente idée : trouver le meilleur dans un poste particulier dans chaque usine, puis organiser une compétition entre les usines. Mais dans mon domaine particulier, le local a proposé comme champion le superviseur, qui était loin d'être le meilleur en termes de compétences, de qualité et de rapidité ! "Ah, mais c'est le superviseur", m'a-t-on expliqué !
Il existait également un système de notation/évaluation qui permettait à chacun de sentir qu'il progressait d'année en année. Certains opérateurs qualifiés étaient mieux payés que les superviseurs, car la rémunération tenait compte de nombreux autres facteurs que le simple "rang" : l'âge ou le fait d'avoir des enfants étaient pris en considération.<br/>
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Une autre caractéristique intéressante était la présence d'un syndicat, mais il s'agissait uniquement d'un syndicat d'entreprise. Et le "délégué syndical" (''shop steward'') local était le superviseur principal !