« Une typologie des organisations culturelles » : différence entre les versions

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Auteur : Professeur Ron Westrum, Département de sociologie, Eastern Michigan University, Ypsilanti, MI 48197, USA ; [mailto:ronwestrum@aol.com onwestrum@aol.com]<br />
Auteur : Professeur Ron Westrum, Département de sociologie, Eastern Michigan University, Ypsilanti, MI 48197, USA ; [mailto:ronwestrum@aol.com onwestrum@aol.com]<br />
Source : A typology of organisational cultures - Qual Saf Health Care<br />
Source : A typology of organisational cultures - Qual Saf Health Care<br />
Date : 2004
Date : 2004<br/>
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Traducteur : Fabrice Aimetti<br />
Traducteur : Fabrice Aimetti<br />
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  Il est largement admis que la culture organisationnelle influence de nombreux aspects de la performance, y compris la sécurité. Pourtant, il est difficile de trouver des preuves de cette relation dans un contexte médical. Contrairement aux facteurs humains, dont les contributions sont nombreuses et notables, l'impact de la culture reste un concept de bon sens plutôt que scientifique. Les objectifs de ce document sont de montrer que la culture organisationnelle a une relation prédictive avec la sécurité et que certains types de culture organisationnelle améliorent la sécurité, et de développer une typologie prédictive de la performance en matière de sécurité. Étant donné que le flux d'informations est à la fois influent et révélateur d'autres aspects de la culture, il peut être utilisé pour prédire le comportement des organisations ou de certaines parties d'entre elles lorsque des signes de problèmes apparaissent. Des études de cas et quelques recherches systématiques montrent que la culture de l'information est effectivement associée aux rapports d'erreurs et à la performance, y compris la sécurité. Cependant, cette relation entre la culture et la sécurité doit être explorée plus en profondeur avant de pouvoir être considérée comme certaine.
  Il est largement admis que la culture organisationnelle influence de nombreux aspects de la performance, y compris la sécurité. Pourtant, il est difficile de trouver des preuves de cette relation dans un contexte médical. Contrairement aux facteurs humains, dont les contributions sont nombreuses et notables, l'impact de la culture reste un concept de bon sens plutôt que scientifique. Les objectifs de ce document sont de montrer que la culture organisationnelle a une relation prédictive avec la sécurité et que certains types de culture organisationnelle améliorent la sécurité, et de développer une typologie prédictive de la performance en matière de sécurité. Étant donné que le flux d'informations est à la fois influent et révélateur d'autres aspects de la culture, il peut être utilisé pour prédire le comportement des organisations ou de certaines parties d'entre elles lorsque des signes de problèmes apparaissent. Des études de cas et quelques recherches systématiques montrent que la culture de l'information est effectivement associée aux rapports d'erreurs et à la performance, y compris la sécurité. Cependant, cette relation entre la culture et la sécurité doit être explorée plus en profondeur avant de pouvoir être considérée comme certaine.


Une typologie des cultures organisationnelles est décrite, basée sur le style de traitement des informations adopté par une unité médicale. Une culture est définie comme le modèle de réponse de l'organisation aux problèmes et aux opportunités qu'elle rencontre. Trois types dominants - pathologique, bureaucratique et génératif - sont décrits. Ces types sont influencés par les préoccupations des dirigeants de l'unité. Le personnel répond ensuite à ces priorités, créant ainsi la culture. L'accent mis sur les besoins personnels conduit à un environnement pathologique, l'accent mis sur le fonctionnement du service à un style bureaucratique et l'accent mis sur la mission à un style génératif. Ces types d'organisation réagissent de manière caractéristique aux signes de difficultés et aux opportunités d'innovation. La valeur d'une culture d'investigation réfléchie est illustrée par des études de cas. Bien que les études de cas étayant ce schéma soient nombreuses, les tests systématiques de l'hypothèse sont plus difficiles à trouver. Si certaines études systématiques démontrent une relation entre les résultats médicaux et les trois cultures, d'autres ne la démontrent pas. Néanmoins, cela représente un moyen original d'aborder le problème de la caractérisation de la culture des unités médicales.<br/>
Une typologie des cultures organisationnelles est décrite, basée sur le style de traitement des informations adopté par une unité médicale. Une culture est définie comme le modèle de réponse de l'organisation aux problèmes et aux opportunités qu'elle rencontre. Trois types dominants - pathologique, bureaucratique et génératif - sont décrits. Ces types sont influencés par les préoccupations des dirigeants de l'unité. Le personnel répond ensuite à ces priorités, créant ainsi la culture. L'accent mis sur '''les besoins personnels''' conduit à un environnement pathologique, l'accent mis sur '''le fonctionnement du service''' à un style bureaucratique et l'accent mis sur '''la mission''' à un style génératif. Ces types d'organisation réagissent de manière caractéristique aux signes de difficultés et aux opportunités d'innovation. La valeur d'une culture d'investigation réfléchie est illustrée par des études de cas. Bien que les études de cas étayant ce schéma soient nombreuses, les tests systématiques de l'hypothèse sont plus difficiles à trouver. Si certaines études systématiques démontrent une relation entre les résultats médicaux et les trois cultures, d'autres ne la démontrent pas. Néanmoins, cela représente un moyen original d'aborder le problème de la caractérisation de la culture des unités médicales.<br/>
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La culture façonne la réponse d'une organisation aux problèmes. L'idée la plus utile est probablement de considérer la culture comme l'ensemble des processus qui façonnent la réponse de l'organisation aux défis auxquels elle est confrontée. Il est utile de considérer les réponses des organisations comme formant des modèles cohérents. Nous pourrions considérer la culture d'une organisation comme analogue à la personnalité d'un individu. Les différences entre les schémas de réponse peuvent être frappantes. Par exemple, le politologue Robert Putnam a systématiquement comparé les schémas d'action des nouveaux gouvernements régionaux italiens. Chacun de ces gouvernements reflétait la culture dominante de sa région. Chacun d'entre eux avait des réactions systématiquement différentes, même pour des questions simples telles que répondre à une lettre d'électeurs.<br/>
La culture façonne la réponse d'une organisation aux problèmes. L'idée la plus utile est probablement de considérer la culture comme l'ensemble des processus qui façonnent la réponse de l'organisation aux défis auxquels elle est confrontée. Il est utile de considérer les réponses des organisations comme formant des modèles cohérents. Nous pourrions considérer la culture d'une organisation comme analogue à la personnalité d'un individu. Les différences entre les schémas de réponse peuvent être frappantes. Par exemple, le politologue Robert Putnam a systématiquement comparé les schémas d'action des nouveaux gouvernements régionaux italiens. Chacun de ces gouvernements reflétait la culture dominante de sa région. Chacun d'entre eux avait des réactions systématiquement différentes, même pour des questions simples telles que répondre à une lettre d'électeurs.<br/>
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L'idée sous-jacente est que les dirigeants, par leurs préoccupations, façonnent la culture d'une unité. Par leurs actions symboliques, ainsi que par les récompenses et les punitions, les dirigeants communiquent ce qu'ils jugent important. Ces préférences deviennent alors la préoccupation du personnel de l'organisation, car les récompenses, les punitions et les ressources suivent les préférences des dirigeants. Ceux qui s'alignent sur les préférences seront récompensés, et ceux qui ne le sont pas seront mis de côté. La plupart des membres de longue date de l'organisation savent instinctivement comment lire les tendances et ceux qui ne le font pas ne tardent pas à en payer le prix fort.<br/>
L'idée sous-jacente est que les dirigeants, par leurs préoccupations, façonnent la culture d'une unité. Par leurs actions symboliques, ainsi que par les récompenses et les punitions, les dirigeants communiquent ce qu'ils jugent important. Ces préférences deviennent alors la préoccupation du personnel de l'organisation, car les récompenses, les punitions et les ressources suivent les préférences des dirigeants. Ceux qui s'alignent sur les préférences seront récompensés, et ceux qui ne le sont pas seront mis de côté. La plupart des membres de longue date de l'organisation savent instinctivement comment lire les tendances et ceux qui ne le font pas ne tardent pas à en payer le prix fort.<br/>
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J'identifierais trois modèles spécifiques. Le premier est une préoccupation pour le pouvoir, les besoins et la gloire personnels. Le deuxième est une préoccupation pour les règles, les positions et le territoire couvert par le service. Le troisième consiste à se concentrer sur la mission elle-même, plutôt que sur les personnes ou les postes. J'appelle cela, respectivement, des schémas pathologiques, bureaucratiques et génératifs. Ces préoccupations génèrent l'ambiance de travail reconnaissable qui affectent le traitement de l'information et d'autres activités cognitives. Cette ambiance de travail influencent des activités telles que la communication, la coopération, l'innovation et la résolution de problèmes. Bien que cette corrélation soit une hypothèse, elle repose sur un nombre considérable d'observations et d'études. Les facteurs à l'origine de cette corrélation sont encore en cours d'étude. La typologie est présentée dans le tableau 1 :<br/>
J'identifierais trois modèles spécifiques :
# Le premier est une préoccupation pour le pouvoir, les besoins et la gloire personnels.  
# Le deuxième est une préoccupation pour les règles, les positions et le territoire couvert par le service.  
# Le troisième consiste à se concentrer sur la mission elle-même, plutôt que sur les personnes ou les postes.  
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J'appelle cela, respectivement, des schémas pathologiques, bureaucratiques et génératifs. Ces préoccupations génèrent l'ambiance de travail reconnaissable qui affectent le traitement de l'information et d'autres activités cognitives. Cette ambiance de travail influencent des activités telles que la communication, la coopération, l'innovation et la résolution de problèmes. Bien que cette corrélation soit une hypothèse, elle repose sur un nombre considérable d'observations et d'études. Les facteurs à l'origine de cette corrélation sont encore en cours d'étude. La typologie est présentée dans le tableau 1 :<br/>
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[[Fichier:How organisations process information FR.png|border|link=|800px]]<br/>
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Le système se concentre sur le flux d'informations en tant que variable clé. Le flux d'informations ne comprend pas seulement la quantité d'informations qui circulent d'un point A à un point B, mais aussi leur pertinence, leur caractère opportun et leur adéquation au destinataire. Les organisations génératives transmettent les informations nécessaires à la bonne personne, sous la bonne forme et dans les délais impartis. Ce comportement est basé sur la conviction du dirigeant que l'objectif le plus important est d'accomplir la mission. La clé qui guide le comportement en matière de communication est donc la suivante : "Qui a besoin de l'information maintenant ?" Les organisations génératives ont tendance à être proactives et à transmettre l'information aux bonnes personnes par tous les moyens nécessaires.5<br/>
Le système se concentre sur le flux d'informations en tant que variable clé. Le flux d'informations ne comprend pas seulement la quantité d'informations qui circulent d'un point A à un point B, mais aussi leur pertinence, leur caractère opportun et leur adéquation au destinataire. Les organisations génératives transmettent les informations nécessaires à la bonne personne, sous la bonne forme et dans les délais impartis. Ce comportement est basé sur la conviction du dirigeant que l'objectif le plus important est d'accomplir la mission. La clé qui guide le comportement en matière de communication est donc la suivante : "Qui a besoin de l'information maintenant ?" Les organisations génératives ont tendance à être proactives et à transmettre l'information aux bonnes personnes par tous les moyens nécessaires.5<br/>
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L'une des caractéristiques les plus importantes d'une culture de l'investigation délibérée est que ce qui est connu dans une partie du système est communiqué aux autres. Cette communication, nécessaire pour une solution globale, facilite l'apprentissage par l'expérience, ce qui est très important pour la sécurité des systèmes. La communication a lieu parce que les acteurs du système considèrent qu'il est de leur devoir d'informer les autres du danger potentiel ou de l'amélioration potentielle. Edmondson, en revanche, a constaté que dans plusieurs hôpitaux, la solution locale ou la solution de contournement n'a pas permis à l'ensemble du système d'en prendre note, parce que les canaux de transmission du problème étaient absents, invisibles ou prenaient trop de temps à utiliser.<sup>22</sup> Il est facile de comprendre que les qualités de la culture dans son ensemble influencent donc la réponse à l'anomalie.<br/>
L'une des caractéristiques les plus importantes d'une culture de l'investigation délibérée est que ce qui est connu dans une partie du système est communiqué aux autres. Cette communication, nécessaire pour une solution globale, facilite l'apprentissage par l'expérience, ce qui est très important pour la sécurité des systèmes. La communication a lieu parce que les acteurs du système considèrent qu'il est de leur devoir d'informer les autres du danger potentiel ou de l'amélioration potentielle. Edmondson, en revanche, a constaté que dans plusieurs hôpitaux, la solution locale ou la solution de contournement n'a pas permis à l'ensemble du système d'en prendre note, parce que les canaux de transmission du problème étaient absents, invisibles ou prenaient trop de temps à utiliser.<sup>22</sup> Il est facile de comprendre que les qualités de la culture dans son ensemble influencent donc la réponse à l'anomalie.<br/>
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Ces réponses sont liées aux types culturels. En particulier, la suppression semble être un indicateur de type pour les environnements pathologiques. L'investigation et les solutions globales, quant à elles, sont fortement associées aux environnements génératifs. Les bureaucraties, cependant, préfèrent utiliser les autres stratégies. Si ces associations sont correctes, elles ont des implications importantes pour la sécurité. Les environnements pathologiques décourageront la prise de responsabilité et on peut s'attendre à ce qu'ils dissimulent leurs problèmes. En revanche, les environnements génératifs sont plus susceptibles de faire apparaître et de corriger les agents pathogènes latents. Ils sont plus susceptibles d'encourager le discours sur les erreurs et l'apprentissage organisationnel par l'investigation.<br/>
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La réponse d'un hôpital suite à la découverte, en 1999, que deux de ses pathologistes avaient posé 20 diagnostics erronés lors de biopsies de la prostate, constitue un exemple intéressant de ce phénomène de remise en question et d'investigation. Il s'agissait du Sturdy Memorial Hospital d'Attleboro, dans le Massachusetts. Un urologue avait découvert le problème lorsque l'un de ses patients s'était vu diagnostiquer un cancer de la prostate alors que la biopsie s'était révélée négative. Après un deuxième exemple similaire, des soupçons se sont portés sur les normes en matière de biopsie. L'hôpital a alors procédé à un audit interne de 279 biopsies de la prostate effectuées en deux ans, qui a révélé que 20 d'entre elles étaient erronées. Plutôt que d'essayer d'étouffer l'affaire ou de la minimiser, Sturdy a annoncé qu'il engagerait des consultants pour contrôler quelque 6 000 biopsies supplémentaires. L'hôpital a signalé les problèmes de biopsie aux autorités de l'État, a envoyé des mises à jour régulières à son personnel et a écrit 88 000 lettres aux patients de l'hôpital pour leur expliquer la situation. La réaction des autorités de régulation et du public a été très positive :<br/>
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''"Tout au long de ce processus, il n'y a pas eu d'impact négatif mesurable sur la charge de travail ou les résultats financiers de l'hôpital. Les urologues n'ont pas non plus été impactés négativement. Notre transparence a permis de confirmer notre réputation de donner la priorité à nos patients. Nos patients acceptaient beaucoup mieux que nous l'inévitabilité de l'erreur humaine, et ils étaient très satisfaits que nous fassions quelque chose pour y remédier. Notre expérience suggère que faire passer les patients en premier est également une bonne stratégie professionnelle lorsqu'il s'agit de traiter les erreurs".''<sup>23</sup><br/>
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Cet exemple de réponse à une investigation est remarquable et inhabituel. Le comportement des autorités canadiennes en charge du sang face aux soupçons, au début des années 1980, de contamination de l'approvisionnement national en sang par le VIH et l'hépatite est tout à fait différent. Comme l'a montré le rapport Krever, les doutes ont été étouffés, les critiques muselées, la réaction a été lente et le public a été induit en erreur.<sup>24</sup> Par exemple, plus de 1 000 décès dus à des transfusions et un nombre encore plus important d'infections par le VIH chez les hémophiles ont été enregistrés, un bilan effroyable. Alors que les épidémiologistes discutaient de l'approvisionnement en sang potentiellement contaminé, on disait aux hémophiles que les transfusions sanguines qu'ils utilisaient étaient sûres. Des stocks de sang potentiellement contaminé ont continué à être distribués, même après que des stocks ayant subi avec succès un traitement thermique aient été disponibles. En d'autres termes, l'encapsulation, les relations publiques et les solutions locales ont été les réponses privilégiées à l'anomalie que représentaient les soupçons de contamination par le VIH et l'hépatite C. Le Canada est loin d'être le seul à avoir réagi aux problèmes de sang contaminé par le VIH, mais il aurait dû être beaucoup plus en avance qu'il ne l'a été : il avait eu une année entière pour étudier les problèmes des Américains. Toutefois, les institutions chargées de gérer l'approvisionnement en sang n'ont pas pu modifier leurs méthodes bureaucratiques afin de pouvoir réagir de manière appropriée. L'utilisation de ces formes bureaucratiques de réponse aux anomalies a conduit à une contamination généralisée, à des infections et à des décès.<br/>
==Une confirmation éclatante==
Bien qu'il soit utile d'utiliser des concepts pour décrire les problèmes, quelle assurance avons-nous que nous ne sommes pas simplement en train d'ajouter de nouvelles étiquettes à des événements déjà connus et compris ? Il existe de nombreux cas où le concept semble bien correspondre à la réalité. Pourtant, même si les études de cas sont nombreuses, les tests systématiques de cette typologie sont rares. La comparaison par Edmondson des styles de supervision des infirmières dans huit services hospitaliers différents constitue la confirmation la plus éclatante de la validité du concept.<sup>25</sup> Cette étude semble démontrer que le flux d'informations est plus important dans une situation générative, où les managers se considèrent comme des coachs plutôt que comme des chefs.<br/>
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Bien que l'étude d'Edmondson n'ait pas été conçue pour tester la typologie, les schémas découverts par Edmondson sont ceux prédits par le modèle. Les infirmières superviseurs qui ont encouragé un environnement ouvert et transparent ont vu la circulation de l'information (c'est-à-dire le reporting des erreurs) dépasser de loin celles qui ont accordé plus d'importance à la hiérarchie. En fait, il y a une variation d'un facteur 10 entre les meilleurs et les pires cas.<br/>
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Si nous prenons les résultats d'Edmondson au pied de la lettre, l'impact de la supervision infirmière sur l'environnement de circulation de l'information semble important. Que se passerait-il si un service détectait dix fois plus d'erreurs qu'un autre ? Il est toutefois plus vraisemblable que de nombreuses erreurs soient corrigées sans être signalées. Celles qui sont signalées représentent un pourcentage de celles qui se produisent, pourcentage qui peut varier en fonction de la qualité culturelle de l'environnement. Les chiffres d'Edmondson sont donc indicatifs et non définitifs. Néanmoins, la visibilité accrue des problèmes permettrait à l'unité de mieux les résoudre, ce qui est un grand avantage en soi.<br/>
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L'étude d'Edmondson confirme de manière éclatante, dans un contexte médical, la valeur de ce système. Il reste cependant à établir le lien entre ces flux d'informations et les résultats médicaux. Il semblerait que le flux d'informations soit fortement lié à la sécurité, mais si nous pouvons en déduire que le flux d'informations crée de la sécurité, les preuves sont rares. Une étude prometteuse réalisée en 1986 a suggéré que la coopération dans les unités de soins intensifs permettait de réduire la mortalité des patients, mais une étude de suivi n'a pas confirmé cette conclusion.<sup>26</sup> Si la culture faisait une différence, celle-ci ne devrait pas être si difficile à détecter. D'autre part, une autre étude menée par Edmondson et al sur la culture des équipes de chirurgie cardiaque mini-invasive (MICS) soutient fortement le modèle génératif par rapport au modèle bureaucratique en ce qui concerne le succès d'une équipe dans l'adoption de nouvelles techniques. Les équipes qui ont encouragé la circulation de l'information ont mieux réussi à institutionnaliser la chirurgie MICS dans leurs hôpitaux respectifs.<sup>27</sup> <sup>28</sup><br/>
==Origines et dynamique==
On peut se demander comment de telles cultures se développent et évoluent. Le rôle du leadership dans la création de tels environnements semble important à la lecture d'ouvrages tels que l'étude d'Abrashoff Edmondson et al sur la diffusion des techniques MICS, qui montre également de fortes différences dans le succès de l'adoption, en fonction du leadership chirurgical. Les équipes chirurgicales qui réussissent semblent adopter une culture de l'investigation délibérée, avec un recrutement sélectif, une discussion transparente, des briefings préopératoires et un nivellement des différences de statut.<sup>29</sup> J'ai l'impression que le rôle du leadership est le plus visible aux extrêmes, et moins évident pour les cultures bureaucratiques. La culture bureaucratique (distincte des bureaucraties elles-mêmes) apparaît comme une sorte de valeur par défaut, un peu comme le milieu d'une distribution normale. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de dirigeants bureaucratiques, mais plutôt que la bureaucratie est souvent un compromis entre des intérêts concurrents.<br/>
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Comment une culture se transforme-t-elle en une autre ? La réponse la plus simple est qu'un changement de dirigeants précipite souvent de tels changements, comme le suggère par exemple le succès d'Abrashoff sur l'USS Benfold. Pour illustrer la création d'un environnement pathologique, prenons l'exemple de l'influence délétère d'Arthur Holland sur la culture de la base aérienne de Fairchild.<sup>30</sup> Holland, pilote de B-52 indiscipliné, ignorait régulièrement les règlements et exposait son avion et son équipage à un danger extrême. Mais il était admiré par ses commandants, si bien que ses actions excessives n'entraînaient que de légères sanctions et suscitaient au contraire des émules parmi d'autres pilotes indisciplinés. Seul son accident suicidaire à bord d'un B-52 a mis fin à son influence sur la base et a donné lieu à des investigations. Il est également possible que les dirigeants d'une organisation décident consciemment de maintenir un type particulier de culture, afin d'attirer les meilleurs praticiens. Entre-temps, l'étude de la dynamique de la création d'une ambiance de travail dans l'univers médical n'en est qu'à ses balbutiements. Il s'agirait d'une orientation prometteuse pour les recherches futures.<br/>
==Discussion==
Bien que les études ponctuelles sur la culture de la sécurité médicale soient utiles, le véritable besoin est celui d'un schéma qui saisisse une ou quelques dimensions d'une manière facile à comprendre.<sup>31</sup> Les dimensions doivent être suffisamment claires pour que les individus puissent y positionner leurs organisations. Sinon, la culture devient un sujet obscur qui ne peut être mesuré qu'à l'aide d'un questionnaire. Il est vrai que certains questionnaires qui mesurent des traits de personnalité ou des ensembles d'attitudes peuvent être utiles pour évaluer la culture, comme le Flight Management Attitudes Questionnaire utilisé par Helmreich et d'autres.<sup>32</sup> En mesurant les attitudes de la main-d'œuvre d'une organisation, nous pouvons avoir un aperçu de certains aspects importants de la culture. Cependant, la culture façonne l'action dans de nombreux domaines importants, des tâches quotidiennes à l'innovation, et fournit des indications importantes sur la manière dont les choses peuvent mal tourner.<sup>33</sup> Même le type d'agents pathogènes latents que l'on rencontre est fonction de la culture de l'organisation.<sup>34</sup><br/>
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Le processus par lequel les préoccupations du dirigeant se traduisent dans la culture des employés est bien décrit par Abrashoff. Une fois mis en place, l'ambiance de travail dans une unité a une forte capacité à influencer les résultats. Cela est dû en grande partie aux effets omniprésents du flux d'informations, dont les problèmes ont été associés à tant d'accidents. Abrashoff a réussi à changer la culture de Benfold en quelques mois seulement. D'autre part, les cultures régionales décrites par Putnam existent depuis des siècles. Un navire, même s'il fait partie d'une flotte, est une unité isolée. En revanche, une culture régionale ou nationale est susceptible de rester inchangée sur de longues périodes. C'est pourquoi nous ne devons pas négliger le rôle de l'environnement au sens large. Chaque unité médicale fait partie d'un ensemble plus vaste : un hôpital, une clinique, un organisme de santé. Comment l'ambiance de travail de cette organisation élargie affecte-t-elle celle de l'unité en question ? L'unité générative isolée devient-elle une "Cendrillon", la cible de railleries hostiles et d'actions politiques ? C'est ce qui est arrivé au laboratoire naval très performant que j'ai étudié. Une étude sur la formation des équipes des services d'urgence a souligné la nécessité de prendre en compte le contexte élargi.<sup>35</sup> La culture pathologique isolée est-elle corrigée ou contamine-t-elle l'environnement dans son ensemble ? Souvent, les unités pathologiques peuvent échapper à des performances horribles si elles ont les bonnes relations politiques, si elles sont capables d'obtenir des subventions ou si elles ont un taux de publications élevé. Dans de nombreux hôpitaux, il est notoire que certaines unités et certains individus, en raison de leur statut d'élite, peuvent s'en tirer à bon compte. Le contexte est donc important.<br/>


==Conclusion==
==Conclusion==
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# Fredrick SA. Unheeded warnings: the inside story of american eagle flight 4184. New York: McGraw-Hill, 1996.
# Fredrick SA. Unheeded warnings: the inside story of american eagle flight 4184. New York: McGraw-Hill, 1996.
# Tucker AL, Edmondson AC. Why hospitals don’t learn from failures: Organizational and psychological dynamics that inhibit system change. California Management Review 2003;45:55–72.
# Tucker AL, Edmondson AC. Why hospitals don’t learn from failures: Organizational and psychological dynamics that inhibit system change. California Management Review 2003;45:55–72.
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